Depuis plus de trois décennies, l’Est de la République démocratique du Congo est plongé dans un cycle infernal de violences armées, alimentées par la présence de groupes armés tant nationaux qu’étrangers. Ces conflits, devenus presque quotidiens, n’épargnent personne, et surtout pas les enfants, premières victimes de cette instabilité prolongée.
Dans une alerte publiée en mars 2025, l’organisation humanitaire Save the Children a indiqué que près de 17 % des écoles au Nord-Kivu avaient été contraintes de fermer leurs portes depuis le début de l’année. En conséquence, environ 375 000 enfants se retrouvent privés de leur droit fondamental à l’éducation, condamnés à errer dans un environnement marqué par la peur, le déracinement et la précarité.
C’est dans ce contexte que s’inscrit le travail d’Africa Tulinabo, une jeune artiste engagée de Goma. Dans un atelier lumineux, niché au cœur de la ville, elle donne vie à une série d’œuvres poignantes sous le titre évocateur : Rêves brisés. Cheveux bruns et bouclés, jeans usés et t-shirt simple, Africa se distingue par sa sensibilité artistique et son engagement profond pour la cause des enfants.
Autour d’elle, des pinceaux éparpillés, des toiles inachevées et des couleurs éclatantes composent un univers à la fois chaotique et poétique. Sur l’une de ses œuvres, un enfant dessiné avec précision tient une caméra dans les mains. Son regard est doux, son sourire timide. Il incarne l’innocence bafouée, mais aussi la résilience.
« Dans ce dessin, j’ai voulu évoquer ces enfants de RDC qui ont des rêves : devenir médecin, footballeur, artiste, enseignant… Mais la guerre, les armes et les déplacements ont anéanti leur innocence. Au lieu de crayons, ils croisent des fusils. Au lieu de l’école, ils fuient les balles. Chaque trait de mon stylo représente un rêve suspendu », confie Africa, la voix tremblante, les yeux embués de larmes.
À travers son art, elle refuse de céder au désespoir. Pour elle, même dans le chaos, l’espoir peut encore être peint. « Je veux aussi dessiner l’espoir. Parce que même dans l’obscurité, nos enfants méritent de briller », ajoute-t-elle avec conviction.
Depuis la reprise des hostilités au Nord-Kivu, Africa a choisi de faire de son art un acte militant. Elle organise des expositions, anime des ateliers pour les enfants déplacés et plaide pour une prise de conscience collective. Son message est clair : l’art peut devenir un refuge, une arme pacifique, un cri silencieux contre l’indifférence.
Pour de nombreux observateurs, l’œuvre d’Africa Tulinabo incarne une forme de résistance douce, une manière de défendre les droits des plus vulnérables sans prononcer un seul mot. Par ses traits et ses couleurs, elle redonne une voix à ceux qu’on a réduits au silence.
Par Victoire Katembo Mbuto